APPRENDRE ET COMPRENDRE LE VOCABULAIRE AUX CYCLES 2 ET 3 PAR ANNIE

Annie Camenisch est Maitre de conférences. Elle enseigne à l’Inspé de Colmar (Université de strasbourg).

Sa conférence s’est déroulée le mercredi 20 novembre 2019 à Hamel.

 

 

 

Afin de mettre tous les enseignants présents sur la même longueur d’onde, Annie Camenisch commence sa conférence par quelques considérations indispensables sur le vocabulaire.

« On fait du vocabulaire pour comprendre le sens d’un mot, dans un texte ou dans des notions disciplinaires, pour le mémoriser aussi, ou encore mobiliser des connaissances sur les mots. On le fait aussi pour l’écrire, c’est-à-dire bien l’orthographier et également pour le dire et l’utiliser les mots à bon escient dans un contexte et avec une bonne syntaxe. »

« On fait du vocabulaire pour développer la littératie scolaire (aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante). Il est donc nécessaire d’avoir des compétences de lecture et d’écriture pour réussir à l’école. En fait il faut prendre conscience que l’on fait du vocabulaire partout et tout le temps. »

Annie Camenisch nous propose donc d’utiliser l’écrit pour penser et apprendre. Elle nous fait la lecture d’un poème et nous demande d’en faire une image mentale.

C’est fatiguant dans les montées,
C’est effrayant dans les descentes,

Et les sommets ne donnent,
Aussi bien que les creux,

Que l’idée de l’arrêt,
La notion du repos.

Les images mentales des enseignants sont diverses : le corps d’une femme pour certains hommes, la montagne, une étape du tour de France… Globalement, les montées et les descentes évoquent cette image :

Ce qui explique le titre du poème d’Eugène Guillevic, Sinusoïde, issu du recueil Euclidiennes.

On peut donc engager un travail sur le sens de ce mot par deux entrées, le contexte, la formation :

  • Mots à partir de SINUS : cosinus/sinueux/insinuer
  • Mots avec le suffixe -oïde : astéroïde, humanoïde, androïde…

On peut donc essayer de définir ce qu’est un mot : il a une forme et un sens, il est écrit dans un contexte, il faut travailler sur sa forme. Il est donc important de faire des liens entre forme et sens (la morphologie et la sémantique).

Annie Camenisch fait maintenant un détour du côté des manuels. Le constat est unanime, ils n’aident pas à faire ces liens. Les notions travaillées sont toujours les mêmes quelle que soit l’année du cycle 2 au cycle 4 (les notions sont plaquées car les mots ne sont pas des mots employés par les élèves).

Annie Camenisch étaye ses propos par des mots issus de nombreux contextes travaillés dans les classes car des mots à comprendre et à apprendre il y en a dans tous les domaines.

Le premier exemple concerne l’histoire au cycle 3. Le lexique, qui fait partie de la séance, est donné mais peu exploité, peu explicité.

On trouve dans le lexique sur Louis XIV : cour, courtisan, monarchie absolue, monarque, noble, noblesse. Pour l’élève de cycle 3, le mot COUR désigne la cour de récréation. Il est donc nécessaire de mettre en évidence la polysémie de ce mot avec eux.

Les mots peuvent être travaillés sur leur morphologie ou leur sémantique car cela fait sens pour les élèves. Une mise en réseau permet de structurer davantage encore : monarque, monarchie / roi, royal, régence…

Elle nous entraine vers les mathématiques et met en évidence une difficulté d’ordre sémantique autour du mot DROIT. De quoi parle-t-on ? une droite, un angle droit, une ligne droite… il faut être explicite avec les élèves. De même avec les verbes qui peuvent avoir plus de 20 formes différentes (reproduire, reproduis, reproduisez, reproduit…). Sans oublier les différentes formes des mots, singulier et pluriel, et encore les mots simples ou les mots construits. On peut également éveiller les élèves à connaitre le sens caché des mots. On les met en situation de chercheurs.

Annie Camenisch aborde ensuite les principes pour développer une pratique explicite de l’apprentissage du vocabulaire. Il s’agit de le lier explicitement avec des pratiques de lecture et d’écriture et d’utiliser explicitement les connaissances morphologiques et sémantiques sur les mots.

Elle fait une distinction entre le vocabulaire (chacun a le sien : apprendre les mots dans des disciplines, développer les stratégies de compréhension) et le lexique (ensemble des mots d’une langue) et rappelle qu’il faut observer comment fonctionnent les mots rencontrés (morphologie et sémantique) et faire des liens entre le vocabulaire et le lexique. Et donc, pour Annie Camenisch, il est primordial de faire des séances ancrées sur un contexte. Et elle définit un contexte comme toute situation d’apprentissage dans toutes les disciplines, tout support utilisé pour les apprentissages dans toutes les disciplines.

Cela signifie de nouveaux apprentissages pour l’élève, des mémorisations de mots (quels mots), des stratégies (lesquelles ?) et de la compréhension (quels savoirs, quels outils ? Et pour l’enseignant, la mise en œuvre de progressions, de séances particulières amenant un changement de posture.

Annie Camenisch aborde une partie très concrète pour les enseignants puis qu’elle leur donne des types de séances. On peut faire mémoriser des mots en contexte à la condition d’être très explicite sur cet apprentissage. Les principes consistent à faire apprendre des mots, à faire du sens d’après le contexte (mémoire contextuelle et affective), à s’attarder sur les formes écrite et orale du mot (mémoire auditive et visuelle), à construire des outils et à organiser les mots (mémoire organisée). Ne pas oublier de mettre en place des référents, des traces pour une mise en réseaux pour que l’élève reconnaisse le mot (un mot seul est un mot que l’on peut oublier).

On peut collecter le vocabulaire spécifique : copier et écrire les mots qui sont issus du contexte ou de la discipline étudiée et une fois ces collectes effectuées, on peut faire des séances décrochées à partir de ces mots (traces collectives et évolutives). Pour d’autres disciplines, la mise en place d’une boite à mots ou d’une affiche pour garder une mémoire du mot peut être une piste intéressante. Le but est qu’il soit réutilisé.

Ces collections se doivent d’être organisées pour construire des réseaux. Les mots collectés sont nommés, catégorisés, classés, mémorisés… sous forme de tableaux ou de corolles lexicales. C’est à construire avec les élèves au fil des disciplines pour construire du sens.

 

 

 

Annie Camenisch interroge sur les mots à mémoriser : évidemment ce sont d’abord les mots fréquents, mais elle attire notre attention sur les limites des listes de fréquence qui ont été construites sur des textes littéraires et non pas sur les domaines disciplinaires de l’école ; et puis les mots à lire et à écrire, les mots-référents, les mots problématiques ou polysémiques… Il s’agit de les mémoriser en contexte, qu’il soit littéraire ou mathématique ou historique… On peut ainsi constituer des réseaux divers et par voie de conséquence développer l’esprit de recherche des élèves.

Elle poursuit sa conférence en évoquant le développement des stratégies en contexte. Il s’agit de comprendre un mot cible en contexte et de développer 3 stratégies pour comprendre : interroger le contexte, analyser le mot, utiliser le dictionnaire pour vérifier ou compléter. Ses propos sont illustrés par un exemple : le mot-cible est agglomération.

La question qui va déclencher la recherche est « Qu’est-ce qu’une agglomération ? » Il faut interroger le contexte puis chercher un autre mot pour agglomération (capitale, ville, métropole). Puis un travail sur la construction du mot (un agglo, de l’aggloméré, agglomérer… ces mots ont un point commun, c’est mettre ensemble). Enfin proposer l’article du dictionnaire (et non le faire chercher). On se dirigera vers une écriture définitoire du mot, en fleurs (mot sg et pl, synonymes, définition et exemple).

Les exemples qu’Annie Camenisch propose sont très variés : clairière, fluvial, multiplier… et tous sont étudiés dans leur contexte et les activités que l’enseignant peut mener sont explicites et font du sens pour les élèves puisqu’elles les mettent en démarche d’investigation qui vont permettre de développer des compétences lexicales, de lecture, d’écriture et de compréhension (inférences). Pour résumer on développe l’esprit d’analyse. C’est un travail de recherche qui est fait à l’oral en CP et en début de CE1 et très vite dès le CE1, il faut passer par des recherches à l’écrit.

En conclusion

Annie Camenisch insiste sur la nécessité de mettre en œuvre des séances de vocabulaire dédiées, en contexte, qualitatives, pour développer des stratégies (sur une dizaine de mots cibles), quantitatives (organiser des mots en réseaux, 10 collectes par an). Elle n’oublie pas des séances décrochées pour structurer les apprentissages lexicaux. Elle met en évidence les avantages de travailler de la sorte puisque les élèves seront amenés à utiliser des capacités à observer et à analyser, à développer des capacités d’inférences, à renforcer les apprentissages disciplinaires, à utiliser l’écrit pour penser et apprendre, et enfin à PRENDRE DU POUVOIR SUR LA LANGUE.

Les propositions d’Annie Camenisch sont extrêmement concrètes, elles interrogent les pratiques des enseignants mais surtout, elles donnent des pistes de réflexion pour faire autrement et offrir aux élèves des séances constructives de vocabulaire.

Merci pour ce moment très riche.

Elle invite les enseignants volontaires à rejoindre un groupe de travail qu’elle a créé pour tester la démarche en classe.

annie.camenisch@unistra.fr