Célestin Freinet : avec le nom de ce pédagogue viennent à l’esprit le texte libre, la correspondance entre écoles, le plan de travail et les classes coopératives. Les techniques Freinet sont plus que jamais vivantes. Rencontre avec Danielle et Marcel Thorel qui portent haut les couleurs de la coopération, jusqu’à l’école d’Esquerchin.
Danielle et Marcel Thorel
Danielle et Marcel Thorel ont fait partie de l’équipe qui a créé en 2001 une école de type Freinet dans le système public, à Mons-en-Baroeul, près de Lille. Pendant cinq ans, une équipe de dix chercheurs du laboratoire Théodile de Lille 3 a suivi cette école de neuf classes et son équipe toute neuve. Le pari lancé était, que de la mise au travail des élèves, selon des modalités particulières, découlerait un meilleur climat scolaire et de meilleurs résultats. Un pari réussi à bien des égards. Entretien du matin et plan de travail : ce sont deux dispositifs issus de cette expérience que Danielle et Marcel Thorel sont venus présenter à l’équipe pédagogique d’Esquerchin, intéressée par des pratiques de coopération en classe.
Les nouvelles du matin
Sur la table, un classeur avec des exemplaires du journal quotidien de la classe de CM1 de Marcel Thorel à Mons-en-Baroeul. L’enseignant se souvient. La journée commençait par « l’entretien du matin ». Les élèves qui voulaient intervenir pour présenter une chose qu’ils avaient vue, entendue ou vécue et qui les avait intéressés, pouvaient s’inscrire à l’avance sur un tableau : pas plus de cinq élève par jour et pas plus de six minutes par présentation.Un enfant dirigeait l’entretien, prenait et donnait la parole à la classe pour des questions. L’entretien était pris en note sur ordinateur par l’enseignant, puis cette page quotidienne du journal était publiée, distribuée à chaque enfant le lendemain matin et lue en collectif. Dans ce journal, les élèves y étaient reconnus, photographiés souvent. « C’était aussi une manière pour l’enfant de tisser des liens entre les évènements présentés, de penser à rapporter un ticket de foot pour en parler le lendemain, de prendre de la distance avec son quotidien », précisa Marcel Thorel.
Réunion de l’équipe d’Esquerchin autour de Danielle et Marcel Thorel
Cet entretien était aussi une éducation à la prise de parole. Deux sabliers cadraient le temps et les passages. « Il faut que le dispositif soit très sérieux, permette de veiller à ce que les interventions ne touchent pas aux choses intimes. Si les élèves posent des questions anecdotiques, l’enseignant intervient pour élever le débat parfois, pour conduire à plus d’abstraction. Pour les plus petits ou les plus réservés, il est préférable de ne pas forcer. » De cette manière, l’oral est entré peu à peu dans la classe, qui permettait de structurer sa pensée en trois minutes, dans un cadre protecteur. Au début, il était nécessaire de reformuler, mais à raison de cinq séances par semaine, les progrès étaient visibles. Ces prises de parole permettaient de mieux connaitre les représentations mentales des enfants sur certains sujets, pour partir d’elles et les faire évoluer. C’était une manière aussi d’apprendre les uns des autres sur des vécus différents, et de faire réfléchir à partir de ces vécus, soit pour apporter de la complexité, soit pour y mettre de l’ordre, soit pour conceptualiser : une inondation, c’était la notion de vases communicants ; le concert d’une chanteuse, c’était l’occasion d’une discussion sur les raisons pour lesquelles on s’identifie à une vedette.
Le plan de travail
Ce qui a été mis en place pour progresser, c’est à la fois du collectif et du travail individuel.
Un autre dispositif très utilisé dans les techniques Freinet est le plan de travail individuel. A Mons-en-Baroeul, il l’était également. L’emploi du temps de la semaine était découpé en temps collectifs et en temps de travail individuel. Dans le CP de Danielle Thorel, trois plages d’une demi-heure de travail individuel étaient placées dans la journée. Les temps collectifs sont ainsi décollés du travail individuel qui suivra. Cela permet de sortir du travail identique pour tous, des exercices standardisés trop faciles pour certains, trop difficiles pour d’autres. « Ce plan de travail est préparé par l’enseignant, qui prévoit des fiches de travail, de la lecture silencieuse, des mathématiques, du texte libre. Le travail, individualisé, est disposé dans des tiroirs numérotés. Mais au début, tout le monde fait la même chose. Puis, le travail demandé se diversifie selon le niveau de chaque élève. Il faut peu à peu apprendre à travailler seul, à chercher les bonnes informations, rester concentré, inscrire les données au bon endroit sur sa feuille. », indiqua Danielle Thorel, qui a expérimenté le plan de travail en CP, dans la continuité de la maternelle où l’on travaille déjà par atelier, parfois autonomes.
Lorsqu’une fiche était terminée, l’enfant l’indiquait de deux barres dans son plan de travail et déposait la fiche dans le bac à correction. Si elle n’était que commencée, il l’indiquait par une barre. C’est un temps où chacun s’exerçait, tout seul. « Avec une discipline de fer », précisa monsieur Thorel, « discipline que chacun accepte parce qu’il apprécie de travailler tout seul et librement ». Comme toujours dans la pédagogie Freinet, chacun avançait à son rythme, de manière très modulée. Pendant ces plages de travail individuel régulées par le plan de travail, les enfants pouvaient s’entraider, sauf pendant les évaluations. A la fin de la journée, les cases se remplissaient, visiblement le travail avançait. Une fois par semaine, le conseil de coopérative permettait de faire le bilan sur le travail, le plan de travail représentant un contrat. Ce contrat pouvait être alors renégocié.
Pour les nouvelles du matin comme pour le plan de travail, l’important est donc d’avancer dans la réflexion, dans les apprentissages, dans l’autonomie. On avance toujours mieux lorsque l’on l’est motivé. Et Danielle et Marcel Thorel de rappeler quelques secrets de la motivation : savoir à quoi sert ce que l’on fait, pouvoir choisir ce que l’on va faire, avoir le sentiment de devenir compétent, avec des tâches ni trop faciles, ni trop difficiles à réaliser et, enfin, faire partie d’un collectif sécurisant. Sans doute en saurons-nous davantage, puisque Danielle et Marcel Thorel ont accepté de continuer d’accompagner l’école d’Esquerchin sur la route des classes coopératives.
Christine Vallin, inspectrice de l’éducation nationale
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